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A C T U A L I T É S
Chroniques
 

7 février 2013

Petite histoire du champagne rosé

 

La présence de vins rosés effervescents en Champagne n’est pas récente, puisque l’on retrace une première livraison de champagne rosé en Russie remontant à 1775 et une seconde à Lausanne, en Suisse, en 1777.

Il existe par contre deux phénomènes relatifs au champagne rosé qui eux sont beaucoup plus récents : le premier, c’est la croissance phénoménale, au cours des quinze dernières années, du nombre de cuvées rosées en Champagne, de telle sorte qu’il n’existe probablement pas une seule maison (sur les 288 que compte la Champagne) qui n’ait pas au moins un rosé dans sa gamme de vin. La situation est assez semblable pour les coopératives et cette vague rosé atteint également les récoltants-manipulants. S’il existe une telle offre de champagne rosé c’est que la demande est importante et donc que le produit suscite l’intérêt – conséquence du second phénomène  – qui est le soin toujours plus grand qu’apportent les champenois et la créativité dont ils font preuve, dans l’élaboration de ce vin, pour en faire une cuvée à part entière dotée d’une personnalité propre.

Nous reviendrons plus loin sur ces deux phénomènes

On produit donc du rosé effervescent très tôt en Champagne, fort probablement parce qu’à cette époque, on y trouve déjà le vin paillé ou œil-de-perdrix, comparable au vin rosé (tranquille) actuel et élaboré délibérément comme tel. Ce vin jouit d’une estime certaine puisqu’on lui reconnaît des vertus thérapeutiques.

Pour produire ce champagne rose (on ne parlait pas de rosé à l’époque) ont a recours à deux méthodes : les très bonnes maisons – on les compte sûrement sur les doigts d’une seule main – colorent leur champagne avec vin un rouge très foncé (qui ne provient pas nécessairement de la Champagne) alors que la plupart des producteurs emploient une préparation appelée Teinte de Fismes, du nom du village en Champagne où elle est produite. Cette teinture, à base de sureau et de crème de tartre fixée à l’alun, n’a pas très bonne réputation puisqu’elle sert également aux fraudeurs à colorer les vins blancs, bon marché, pour les vendre comme des vins rouges, à un prix beaucoup plus élevé.

Mais pourquoi vouloir créer un champagne rosé? N’y a-t-il pas quelque chose de paradoxal dans cette idée ? Pour bien comprendre la nature du projet, il faut savoir qu’à l’époque, le champagne blanc que l’on produit est élaboré principalement avec des raisins noirs : le Fromenteau (qui donne un vin d’un rouge assez clair) et le Morillon Noir (l’ancêtre du Pinot Noir) – on vinifie donc en blanc des raisins noirs –. C’est également avec ces cépages issus des meilleurs crus de Champagne (Aÿ, Verzy, Verzenay, Sillery) que l’on produit l’un des meilleurs vins tranquilles de Champagne : le vin Gris.

En raison de la coloration induite par la peau des raisins noirs en contact avec les jus clairs résultant de la méthode de vinification plus artisanale et des outils rudimentaires utilisés, ce premier champagne est donc légèrement teinté (couleur pelure d’oignon). Dans ce cas, la teinte rosée que l’on obtient est accidentelle et non un résultat sciemment recherché. On a donc d’un côté un champagne élaboré avec des raisins noirs qu’on s’efforce de rendre le plus blanc, le plus clair possible et de l’autre, le même vin auquel on ajoute du vin rouge ou une autre substance colorante pour en faire un vin rosé. … « Pourquoi faire simple quant on peut faire compliqué ? »

Nous en sommes maintenant à la fin du XVIIIe siècle et Veuve Clicquot règne sans concurrence dans le domaine des champagnes roses. Elle conforte ainsi sa position sur les marchés d’exportation, le nombre de maisons de champagne étant très limité.

Au XIXe siècle, d’autres maisons entreprennent de produire du champagne rosé : Jacquesson, Moët & Chandon, Billecart-Salmon … mais cette production demeure très marginale. Malgré l’amélioration de la méthode d’élaboration (à partir de 1818, on ajoute du vin rouge de Champagne provenant de Bouzy), ce vin est peu demandé, voire boudé. Certains le trouvent sans personnalité, même s’il figure à la table d’un dîner offert en l’honneur du tsar Nicolas II, à Paris en 1896.

Le champagne rosé est en réalité un vin au succès intermittent réapparaissant de temps à autre avec une popularité passagère due à son aspect attractif, mais qui ne séduit jamais les véritables amateurs de champagne.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, la situation ne change guère. Des cuvées rosés naissent et disparaissent au fil des ans avec le résultat que le nombre de ces vins demeurent très restreint. On retrouve surtout des cuvées spéciales, en petite quantité, qui ne sont livrées que sur demande expresse. Toutefois quelques rosés réussissent à s’imposer et vont durer : le Brut Impérial Rosé de Moët & Chandon (millésime 1920, commercialisé en 1929) et les cuvées rosés de Pommery et Lanson, lancées l’année suivante, en 1930.

À partir de la fin des années 50, un mouvement vers le champagne rosé commence à se dessiner, porté par les cuvées de prestige, les plus réputés, dont la notoriété va contribuer à imposer progressivement ce type de champagne auprès des amateurs. Citons l’arrivée, en 1959, du Dom Pérignon Rosé, du Dom Ruinart rosé, en 1964, de la Grande Année de Bollinger, en 1966. Quelques années plus tard, en 1974, deux remarquables cuvées naissent: le Cristal Rosé de Roederer et les Comtes de Champagne de Taittinger (millésime 1970). Elles sont suivies en 1975, par la première cuvée Belle Époque Rosé de Perrier-Jouët (millésime 1975). Toutefois, au sortir des années 70 la vente de champagne rosé ne représente encore que 2% des ventes totales. Cette cuvée spéciale historiquement lié au « haut de gamme » en Champagne, commande un prix très élevé qui restreint son expansion.

Au début des années 80 la tendance « rosée » se confirme et s’intensifie, alimentée par la très forte demande du marché anglais – plus exactement des yuppies en quête d’achat tendance pour dépenser leur bonus.

Au cours de cette décennie, d’autres cuvées de prestige rosées font leur apparition : la cuvée Grand Siècle Alexandra Rosé de Laurent-Perrier en 1982, (depuis 1968, cette maison produit un rosé de saignée dont la renommée croissante va le porter en tête des ventes mondiales de champagne rosé) le Krug rosé en 1983, la Cuvée Louise de Pommery, en 1984 et la Grande Dame Rosé de Veuve Clicquot avec le superbe millésime 1988.

Au cours des vingt cinq dernières années, la production de champagne Brut rosé, non millésimé va exploser, pour satisfaire les palais roses des consommateurs américains, japonais (attachés à la couleur de la fleur de cerisier), allemands, belges, suisses … et canadiens.

Il y a donc lieu de croire que la consommation de champagne rosé ne soit plus une mode passagère mais qu’elle soit là pour durer comme tend à le démontrer les chiffres du Comité interprofessionnel du vin de Champagne. Alors que les expéditions totales de champagne à travers le monde ont diminué de 14% pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009, les expéditions de rosé, elles ont crû de 3,2%. Le rosé est le seul type de vin à progresser en volume au cours de cette période et cette progression s’est accentuée en 2010.

Élaboration du champagne rosé

Il existe deux méthodes d’élaboration des champagnes rosés : par mélange de vin rouge et de vin blanc ou à partir de pinot noir uniquement.

Les rosés d'assemblage

Cette méthode, dite « méthode traditionnelle », consiste à ajouter au vin blanc, avant la prise de mousse, une faible proportion de pinot noir vinifié en rouge (5 à 20% de Coteaux Champenois ou de Rosé des Riceys par volume).

Les rosés de macération ou de saignée

Cette méthode consiste à séparer le moût d'une vendange de raisins rouges, égrappée et foulée, après seulement quelques heures (de 8 à 12 heures) de macération. On « saigne » la cuve en vidant son contenu afin de séparer les peaux du moût, au moment où l'on juge que ce dernier a acquis exactement la couleur recherchée.

Quelle méthode donne le meilleur résultat ? Cela dépend des goûts. Aucune ne produit un vin intrinsèquement supérieur à l’autre. Chaque méthode comporte des avantages : fraîcheur et finesse pour le rosé d’assemblage, puissance des arômes, vinosité et structure tannique pour le rosé de saignée. C’est pourquoi, aujourd’hui, un certain nombre de producteurs utilise une combinaison des deux méthodes afin de profiter des avantages de chacune. C’est le cas par exemple de Roederer pour ses cuvées Cristal et Brut millésimé, de Vilmart, de L. Aubry & Fils et du récoltant-manipulant Pierson-Cuvelier.

D’autres producteurs font preuve de beaucoup d’imagination dans l’élaboration de leurs cuvées rosées. Ainsi Champagne Pierre Peters, installé au Mesnil-sur-Oger, sur la Côte des Blancs, considère que le vin rouge s’intègre difficilement au vin blanc par la méthode de l’assemblage et les tannins sont toujours trop dominants. Pour contourner cette difficulté, ce producteur a eu l’idée de créer une saignée de Pinot Meunier et de Chardonnay qui vont macérer et fermenter ensemble.

Retenons en conclusion que l’assemblage et la saignée ne constituent plus des méthodes achevées pour l’élaboration du champagne rosé, mais en sont devenues en quelque sorte les principes de base et le point de départ pour l’expérimentation et le développement de nouvelles façons de faire par les producteurs.

Nous n’avons vu à ce jour que le début des possibilités.